Voile Journal de Bord de 8 jours de cabotage post démâtage

En septembre 2022, j’avais décidé de mettre à profit l’un des derniers week-ends de la saison pour rallier l’île d’Yeu avec mon petit voilier monocoque de 7m60 qui porte le doux nom de « Rêve de Gosse ». Mais nous avons subi un démâtage face au vent noroi en approche de la pointe des Corbeaux. Ce fut un épisode douloureux car les réparations étaient importantes et peu évidentes au regard de l’année de mon bateau, construit en 1979 par Michel Dufour.

Mais l’hiver et l’appel de l’océan eurent raison de nos doutes, et nous avons choisi face à mon attachement profond à ce bateau de le réparer plutôt que de le changer comme c’eut été plus simple et ainsi que Yoann en était tenté. Nous consacrions alors, avec l’aide de Philippe, des économies et du temps pour remettre à flot notre bateau. Yoann, mon compagnon de vie et d’aventure, partenaire de crime, a soutenu ce projet rappelé par sa passion d’antan et son passé de régatier. A la fin de l’été 2023 et après quelques sorties de réglage, Rêve de Gosse fut enfin prêt à retrouver le chemin de la navigation… Et nous également avec cette petite peur au ventre mais emprunts d’une volonté féroce quoique quelque peu tremblante de ne pas reproduire ce traumatisme pour notre cher voilier, tout autant que pour nos aspirations naissantes de navigateurs.

Journal de Bord : Le départ

Cette année j’ai changé de travail en me rapprochant de la côte atlantique. Moi, la femme d’extérieur, j’ai passé de nombreuses heures derrière mon bureau et je sentais ce besoin viscéral de m’échapper, de voguer et d’humer cet océan qui m’appelle un peu plus chaque jour. La sédentarité m’éteint et le mouvement m’alimente. Je me fais penser parfois à ces petites lampes de camping en forme d’animaux qui se rechargent lorsqu’on les secoue. Mon énergie me vient lorsque je suis en action.

8 jours, c’est exactement ma seule fenêtre pour m’échapper cet été et partir en mer. Nous avions convenu avec Yoann qu’il partirait des Sables d’Olonne plus tôt pour me cueillir un peu plus haut et ainsi rallier la Bretagne. Mais le destin en avait décidé autrement… « Pétole » comme disent les marins ! Les éléments ont forcé notre équipage en duo à partir et revenir ensemble.

Yoann devra m’attendre pour partir en aventure. Et ces derniers jours lui permettront de peaufiner le bateau dans la continuité de toutes les réparations qui ont été faites cet hiver. Il a fallu sortir le voilier du port, refaire la coque et le carénage, le remâter avec un nouveau gréement et remettre drisses, boutes, écoutes et autres accastillages en place. Il fera ses dernières préparations avec Christophe qui lui transmettra également son savoir-faire en tracé de trajectoires.

Christophe est un ancien musher qui vit avec Alta, sa chienne Husky, à bord de son voilier situé juste en face du notre sur le ponton. Hiver comme été, tous deux vivent à bord. Ils sont libres et indomptables, et dans leurs éléments en lien avec la nature, océan comme montagne. Aujourd’hui il s’est reconverti et travaille dans la voilerie du port et il partira en mer avant nous. Sans doute nous croiserons nous au large sans nous reconnaitre.

Pendant ce temps précédant notre embarquement, je retrouve Yoann qui étudie tel un jeune écolier et apprivoise avec un nouvel engouement la règle de Cras et le compas sur les cartes. Ces cartes d’ailleurs, il les voit comme des œuvres d’art, s’étonnant du travail et la précision de tous ces relevés de mesure et dessins. Je me souviens de ce grand tableau chez lui qui représentait justement la carte marine de la baie de Saint Brieuc.

Me voici enfin en congés. Une semaine, il est vendredi soir quand je rallie ma petite cabine. C’est le nom que les enfants et moi avons donné à notre maison aux Sables d’Olonne. Il fait écho à notre cocon qui se veut être notre petit refuge face à l’océan. Nous portons notre paquetage sur Rêve de Gosse, prêts à partir aux aurores le lendemain.

Jour 1 : Port Olona (Les Sables d’Olonne) vers Port Joinville (Ile de Yeu) – 32 miles

Nous quittons tôt notre ponton de Port Olona. Nous sommes quelques voiliers à se suivre et emprunter ensemble ce mythique chenal du Vendée Globe laissant sur notre droite la Tour d’Arundel. Je l’observe cet ancien château du XVème siècle du côté de la Chaume. Ce passage évoque à chaque fois l’histoire de cette cité maritime avec à tribord l’ancien village de pêcheur et de l’autre, à bâbord, l’ancien bourg et le remblai de la Ville. En empruntant ce chenal, c’est comme si la mer était ce lien presque fantastique qui unit les deux pendants de la Ville.

Sortie du chenal, le sort s’acharne et notre chère pétole s’est encore invitée. Nous n’aurons pas d’autre choix que d’allumer notre moteur hors-bord en puits. Un vrai vacarme ! Me voici à la barre pour trois heures avec un casque anti-bruit de chantier sur les oreilles. Nous décidons de nous caler dans la flotte des autres voiliers, au cas où notre petit moteur nous ferait une avarie. Quand soudain, le vent se lève, et nous voici enfin à voguer au près, l’allure qui permet de remonter face au vent, idéalement avec un angle de 45 degrés. Le voyage se passe merveilleusement bien, y compris devant notre redoutée pointe des corbeaux.

Nous arrivons à Port Joinville, rechargeons notre nourrice d’essence et le petit zodiac du port nous adresse vers notre tête de ponton à couple. Une bonne douche et nous rejoignons l’Escadrille pour profiter du concert de rock dans ce bar d’habitués face au port de pêche. Après de belles assiettes à Ma Réserve, nous retrouvons notre voilier pour notre première nuit dans la cabine et sa couchette en forme de part de pizza à l’avant du voilier. Nous préparons la navigation du lendemain vers Noirmoutier sur la carte et allons nous coucher déjà heureux d’avoir vaincu la malédiction de nos voyages à Yeu.

Jour 2 : Port Joinville (Ile d’Yeu) vers Port de l’Herbaudière (Ile de Noirmoutier) – 29 miles

Après un bon petit déjeuner à bord, nous traçons cap nord ouest. Je suis à la barre et je m’amuse pendant plus d’une heure à remonter un voilier plus grand en serrant mon près au maximum. Malheureusement, nous n’avons pas suffisamment anticipé le déport lié au courant et nous sommes bien trop à l’ouest. Il va nous falloir redresser notre trajectoire car nous avons déjà perdu du temps. Dommage, j’ai pris plaisir à challenger Rêve de gosse, mais je laisse l’autre bateau filer… Nous apercevons le pont de Noirmoutier et longeant de très loin la côte, Yoann s’accorde un petit break.

Je suis à la barre vers le nord quand soudain à seulement 4 ou 5 mètres de moi, je vois en face à face, un banc de grands dauphins qui vient me saluer. C’est dingue, ils ont filé tout droit vers moi avant de me contourner comme s’ils venaient volontairement me faire un coucou. Comme l’an passé, je crie comme une gosse à les voir…

Nous croisons de beaux catamarans et j’en profite pour les photographier. Nous arrivons en fin de journée à l’Herbaudière et après un bon repas sur le port, nous allons nous balader sur la digue pour capturer le coucher de soleil sur l’île du Pilier. Les lumières sur le port sont magnifiques et nous passons une nuit apaisée. La coupure avec le monde terrien commence à bien se poser. Le lendemain matin, je profite du marché sur le port pour nous avitailler en bon fromage, fruits et légumes frais pour notre repas en mer.

Jour 3 : Port de l’Herbaudière (Ile de Noirmoutier) vers Port de la Turballe – 26 miles

Cap au Nord pour ce troisième jour. Notre duo est à présent rodé et nous alternons, Yoann et moisystématiquement les rôles : à la barre, aux voiles et piano, en pause. A terre c’est la canicule. En mer il fait chaud mais nous sommes bien. Nous approchons assez rapidement du canal des paquebots et du parc éolien en mer de Saint Nazaire. C’est impressionnant de voir la taille de ces navires en comparaison à notre caractère si minuscule. Quant aux éoliennes, comme il n’y a pas de vent, elles ne tournaient pas mais les dimensions de leur emprise sont surprenantes vue de si près. Nous les longerons en prenant l’est vers la côte puis en remontant jusque La Turballe. Nous contournons le plateau de la Banche puis la pointe du Croisic avant d’arriver dans ce sympathique port de la Turballe qui a déjà un air de Bretagne.

Nous nous promenons dans la ville, je tombe sur une cartomancienne qui me dit avoir des atouts pour l’écriture et que j’ai un don de médium ainsi qu’une force d’intuition. Je suis en retard pour dîner, mon côté parfois un peu trop planant m’a fait bifurquer, mon amoureux n’est pas très content. Je suis dans mon monde, bercée par la douceur du voyage et mon esprit qui divague, j’ai failli perdre mon coéquipier… Nos mots seront plus amers et notre nuit sera plus froide. Quelque part, nous lessivons sans doute nos doutes passés et insatisfactions personnelles d’être un peu trop éloignés de ce qui nous remplit, et de nous aussi. L’amour a plus d’exigences que l’amitié et parfois se perdre pour se retrouver fait partie du voyage qui nous grandit.

Jour 4 : Port de la Turballe vers les îles de Hoédic et Houat – 20 miles

La navigation démarre très fort en quittant La Turballe en direction de Hoédic. J’aime prendre la barre en quittant le port. Yoann est un peu jaloux car le vent se manifeste souvent quand c’est moi qui barre. Je lui dis sur un ton légèrement souriant et provocateur que ce doit être mon côté mystique ou sorcière. Et bien justement, lorsque je lui passe la barre le vent s’amenuise, nous en rions ensemble et devrons tirer quelques bords pour arriver au port de l’Argol sur l’île de Hoédic. J’appelle à la VHF le canal 9 pour annoncer notre arrivée et je comprends qu’il nous faudra nous amarrer à la tonne 3. Nous nous interrogeons sur ce à quoi peut bien ressembler une tonne et découvrons les bateaux par l’avant accrochés à une bouée et formant une étoile tout autour. Nous nous questionnons encore sur la façon de s’en approcher et de s’y accrocher mais la personne d’accueil vient nous dire de nous mettre à couple avec le bateau le plus proche. Nous prenons nos affaires avec nous et nous faisons conduire en zodiac à terre dans ce petit port. Il est 14 heures et les quelques restaurants de ce village ne servent plus. Nous nous posons en terrasse du petit hôtel restaurant « Les Cardinaux » pour prendre un rafraichissement quand la solidarité marine s’offre à nous. Notre bateau voisin venu rejoindre des amis nous fait don d’une délicieuse assiette de poulpes marinés, nous rassasiant plus qu’il n’en fallait. C’est le ventre repu que nous partons à pied en balade pour longer la moitié de l’île. Le paysage entre criques et Fort avec en ligne d’horizon Belle-île en mer nous donne le sentiment d’être privilégiés de vivre et voir de si beaux lieux. Nous retournons sur Rêve de Gosse et naviguons jusque l’île d’Houat ou nous avons prévu une nuit au mouillage. La météo annonce une tempête sur le continent et de forts vents là où nous serons. Nous cherchons une plage abritée et allons jeter l’ancre dans la crique de Tréach Salus située côte Ouest.  Nous sommes nombreux à avoir eu la même idée, peut-être une cinquantaine de bateaux et nous devons nous y prendre à deux reprises pour être à bonne distance les uns des autres. J’ai peur que notre ancre ou celle d’un autre bateau ne se décroche dans la nuit. Après avoir admiré et shooté ce coucher de soleil à tomber par terre, nous sentons les feux de bois et admirons le ciel si étoilé. Nous pouvons nous coucher dans notre petite cabine avant et je laisse le hublot entre-ouvert pour vérifier très régulièrement les lumières de mâts autour de nous. Je dormirai très peu cette nuit avec le vent qui souffle si fort et mes vérifications toutes les deux heures pour être certaine que nous n’avons pas dérivé jusque Belle-île en Mer. Ces navigations des premiers jours et la Bretagne nous gagnant, nous décidons de continuer à voguer vers le Nord.

Jour 5 : Houat vers Port Haliguen (Quiberon) – 10 miles

A notre réveil au mouillage, nous constatons que les bateaux ne bougent pas et n’ont pas non plus bougé pendant cette nuit ventée. Chacun semble en profiter pour prolonger son sommeil comme si personne n’avait vraiment dormi pendant la nuit. Nous étudions la route pour monter vers la presqu’île de Quiberon. Soit nous contournons des îles et roches par l’ouest soit nous tentons une passe un peu étroite et technique : le passage de Béniguet. Il nous attire mais le vent n’est pas idéalement favorable et il va falloir tirer des bords compte-tenu de notre vitesse et cap à tenir. Nous décidons de monter jusqu’à la première cardinale pour jauger de la largeur du passage. Nous savons que les fonds peuvent être traitres par certains endroits et qu’il nous faudra de la finesse dans nos manœuvres si nous nous engageons. La cardinale est là à tribord, je prie intérieurement pour que Yoann décide d’y aller car j’en ai très envie et le feu vert est donné : « On vire, on y va ! » Quelle excitation alors que je suis à la barre. J’essaie de caper mais il faut jongler avec une vitesse à maintenir pour ne pas glisser. Approchant des deux tiers du passage, je vois que ça ne passera pas et qu’il va nous falloir virer vers la cardinale à tribord. Je vois que d’autres bateaux nous ont finalement suivis alors que la passe était vide juste avant nous. « Paré à virer ? 3.2.1 je vire » Yoann passe le génois à tribord pour deux minutes maximum avant de revirer à bâbord. C’est bon nous allons passer, nous sortons du passage avec un petit sentiment de devoir accompli de marin. C’était beau, technique et enivrant. Notre duo se félicite de cette belle synchronisation et complicité dans ce passage délicat. Nous tirons à présent tout droit vers Quiberon en toute tranquillité. Le plan d’eau est rempli de voiliers, nous avons l’impression d’être en régate. Il en est ainsi en Bretagne, force est de constater qu’il y a davantage de bateaux qui naviguent que par chez nous.

A port Haliguen, nous découvrons un tout nouveau aménagement urbain livré à l’été 2022. C’est très esthétique, à la fois contemporain et bien intégré dans l’environnement. Une belle réussite architecturale. Nous y dînerons le soir au Baragwin que je conseille absolument après une longue marche vers la Ville, Port Maria et le sentier côtier. Cette navigation met un point d’orgue de qualité à la fin de notre remontée, car demain il faut reprendre la route du sud pour rentrer à temps au travail la semaine suivante. Une pointe de nostalgie se fait sentir mais vite effacée par le bonheur d’avoir pu emmener notre petit voilier si haut en le préservant  en 5 jours seulement.

Sur ces 5 journées, nous n’avons quasiment fait que du près. Une allure qui n’est pas la plus confortable. Le vent arrive de face et il faut faire plus de route pour la même distance qu’au portant. Qui plus est dans cette allure le bateau gîte beaucoup ce qui est très sollicitant.

Nous nous sentons libres, car la mer est sans aucun doute l’un des derniers espaces de liberté…

Jour 6 : Port Haliguen (Quiberon) vers Pornichet – 35 miles

Cette liberté retrouvée a apaisé nos esprits. Notre duo fonctionne en résonnance. La navigation vers Pornichet commence comme à l’habitude. Je suis à la barre et le vent est favorable voir même un peu houleux. Nous nous extirpons des conditions instables.

Ce sera l’une des plus longues de notre voyage mais me voila prise de problèmes de reins. Je peux vous assurer que passer des heures assise sur un seau qui glisse dans le carré eu gré de la gîte vous enlève toute part d’intimité. Je ne serais pas des plus dynamique sur cette journée. Mon co-skipper assurera une grosse partie du trajet à la barre. A peine réussirai-je à nous donner quelques tranches de melon et un wrap de rillette de poisson pour tenir la distance.

La journée est longue mais tout de même rassasiante de l’océan. Nous arriverons assez tard sur Pornichet, sous spi et au son de Bob Marley, ce qui fait le bonheur de mon gosse de co-skipper. Il nous reste juste le temps de prendre une bonne douche et de manger avant de nous écrouler dans notre lit.

Nous sommes à couple avec justement un jeune couple qui souhaite partir à 6h. Nous nous entendons tous les quatre sur un départ à 7h car nous prenons la même direction. Il nous faudra être matinaux. Cependant nous sommes enjoués de notre décision pour la suite.

Car heureusement demain nous avons décidé de refaire un coucou à notre île d’amour, Yeu.

Jour 7 : Pornichet vers Port Joinville (Ile d’Yeu) – 32 miles

Départ aux aurores avec une lumière de lever de soleil éblouissante sur Pornichet. Nous reprenons la route des cargos et nous passons très proche d’un énorme. Nous lui laissons la priorité. Assez rapidement nous perdons de vue notre acolyte de ponton qui a choisi un tracé plus au nord et dont le bateau ancien est plus lourd avec moins de voilure. Nous essaierons de garder le visuel aussi longtemps que possible.

La mer est assez formée. Avec notre petite coque, nous nous faisons balloter à chaque creux comme dans un panier à salade. Le vent est lui stable, cela évite de multiplier les difficultés. Avec l’île d’Yeu en vue, nous sommes vent arrière. Yoann, comme la veille décide de mettre le spi, sa voile préférée mais qui nécessite du temps pour l’installer avec le tangon, ainsi que de la prudence dans la navigation. Le spinnaker appelé spi est une grande voile très légère et très creusée comme un gros ballon qui se met à l’avant et se gonfle aux allures portantes, ce qui lui donne une puissance très importante.

Il y a toujours de l’appréhension quand on sort le spi, car il suffit d’une irrégularité ou d’une rafale pour que le bateau se fasse emporter si le spi n’est pas immédiatement maitrisé. Mais pour nous tout se passera bien malgré les creux de houle importants, plus de 2 mètres je pense, et le fait que nous sommes ballotés. Nous arrivons à Port Joinville sous spi.

J’aime prendre de l’anticipation pour affaler les voiles et rentrer sereine dans le port pour préparer l’amarrage. Yoann aime pousser le bateau sous voile le plus près possible du chenal. Voici deux visions différentes de conclure la navigation. Cette fois-ci s’est lui qui est à la barre donc qui donnera le go pour baisser les voiles. Cela me crée toujours une palpitation que de ne pas être dans le même besoin de séquençage. Nous venons de passer à tribord la marque verte, j’ai du coup le feu vert pour affaler le spi. Il est bloqué dans le tangon. Je dois vite filer à l’avant du bateau pour comprendre ce qui se passe. C’est un nœud qui s’est glisser dans l’encoche du tangon. Je dois l’ouvrir et faire glisser l’écoute. Je m’accroche car avec la houle, ce n’est pas le moment idéal de tenter l’homme à la mer en plein entrée du chenal. C’est débloqué, je rejoins le carré pour récupérer rapidement le spi à l’intérieur du bateau sans qu’il ne touche l’eau. J’affale la grande voile et nous voici enfin prêt à rentrer au port. Je souffle.

Une place nous attend au ponton Foxtrot. Nous prenons le temps de bien ranger tout ce fatra puis allons nous promener avant de rejoindre une nouvelle fois notre quartier général, le bar l’Escadrille.

Alors que je suis à siroter un monaco, je reçois un message de mon amie Colombe qui me dit qu’elle embarque sur le navire de transport pour revenir sur son île. Colombe et moi nous sommes rencontrées le soir de mon démâtage justement à l’escadrille. Alors que je dansais pour oublier dans quelques furtifs instants d’euphorie la casse de mon Rêve de Gosse, nous avons entamé une discussion. Seulement quelques minutes pour se comprendre et que je lise en elle ce qu’elle traversait. Je lui conseillais la lecture du livre de Maud Ankoua: « Kilomètre zéro, le chemin du bonheur » et nous avons lié une amitié pleine de sororité. Nous nous donnons régulièrement de nouvelles à distance et n’hésitions pas à nous soutenir par message dans les obstacles que la vie nous envoie. Depuis cette soirée, nous n’avons pas pu nous revoir. Cela fait presque un an mais le lien est pourtant maintenu. Je file donc l’accueillir à l’arrivée du navire pour l’embrasser et elle nous rejoindre plus tard avec sa fille pour partager un moment précieux.

Ce soir-là, nous rencontrons également Anne-Lise qui vient d’arriver sur l’île ou elle a passé son enfance avant de partir par amour à la capitale. Elle a le regard clair des gens qui ont l’âme pure et la pupille un peu embuée par la vie. Elle est douce et vient rechercher ici sa dose de fraicheur et d’innocence. Tout comme son ami serveur qui depuis qu’il a quitté son île a été confronté à un conditionnement qui lui a fait perdre ses repères de candeur et de liberté. Il dit qu’il cherche à les retrouver mais la vie au continent lui a ôté une part d’enfant joyeuse.

Les gens de l’île ont cette candeur qui a la saveur d’une enfance libre à vélo dans un ilôt préservé de la folie du temps et de la boulimie de la ville. Il se dégage de Yeu une atmosphère douce et candide.

Jour 8 : Retour Port Joinville (Ile d’Yeu) vers Port Olona (Les Sables d’Olonne) – 32 miles

C’est le dernier jour de notre aventure. Nous devons partir tôt car je dois rejoindre au plus vite Nantes pour récupérer mes loulous. Comme au premier jour, il y a pétole tant que nous longeons l’île de Yeu jusqu’à passer la pointe des Corbeaux. Le moteur est en route, nous avançons sans mot, conscients que cette aventure nous a transporté vers ce que nous sommes, ce que nous aimons.

Seuls dans cet océan, il n’y a plus besoin de parler pour se comprendre. Nous sommes confortés dans le fait que la voile est idéale pour des hyperactifs qui ont la bougeotte et qui pensent trop. Le mouvement incessant de cette immensité bleue et les manœuvres et réglages de voile permanents de la navigation assouvissent notre corps et notre esprit.

Nous avions peur d’être bloqués dans un espace de seulement 4m2 pendant des heures. Il n’en est rien, l’immensité nous apaise.

Yoann aura eu pendant ces 8 jours une obsession, celle de faire avancer le plus vite possible l’un des moyens de déplacement le plus lent qui existe. Cette recherche impose un ajustement sans cesse des voiles et fait chasse à toutes celles qui faseillent.

En route, nous nous faisons dépasser par deux bienheureux qui avancent à toute vitesse sous spi et nous salue de la main avec un grand sourire. Les malheureux n’ont pas vu ce nuage gris à tribord qui vient vers nous et la rafale de vent qui approche. Quelques minutes seulement après, voici la rafale qui s’engouffre dans leur spi et entraine leur voilier sur un virement à 90 degrés à tribord. C’est un départ au lof et leur spi est bloqué pendant plusieurs minutes. C’est flippant et nous les sentons en danger et restons proches et à vue. Ils réussiront finalement à lâcher les écoutes de spi et j’aurai le temps d’en faire un joli cliché. Le spi et les winch ont du être bien rincés mais heureusement ils auront réussi à reprendre la main sur la situation.

Face à ce scénario, nous nous empressons de faire une prise de ris pour réduire la voilure et protéger notre gréement. Nous libèrerons la grande voile lorsque le vent aura baissé.

Chacun reprend tranquillement sa trajectoire et Yoann remet le spi devant le phare des Barges pour une arrivée triomphale sous spi dans la baie des Sables d’Olonne. Soyons honnête il n’y aura ni acclamations sur les jetées su port ni feu de bengale mais un gros sentiment malgré toit de devoir accompli de marin.

En moyenne notre 7m60 aura avancé entre 4 et 5 nœuds avec quelques pics à 7 nœuds et un record pointé à 8.3 nœuds sur la montre garmin en ce dernier jour.

Quant à moi, s’il y a bien un endroit ou je me sens 100% moi, c’est ici, sur l’océan. Cette connexion est de celle qui guérit les âmes. Elle me donne envie de comprendre encore ce lien et ces effets irrationnels.

J’en ai profité pour renouer avec deux autres amours que je partage ici avec vous qui n’ont d’autre ambition que celle de vous partager et faire ressentir des émotions, des sentiments : l’image à travers la photographie et mon appareil embarqué avec moi, et les mots par la rédaction de ce récit de Journal de Bord.

Val, capitaine de Rêve de Gosse, Port Olona, Août 2023

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